« Considéré comme l’œuvre fondatrice de Koltès, La Nuit juste avant les forêts, pièce écrite en 1977, est comme une longue litanie, un chant d’amour et de révolte, une évocation du monde vu à la marge. Avec ingéniosité et finesse, Clotilde Labbé donne véritable corps à ce récit sans fin. »
Dans le Hall du centre culturel de la célèbre mutuelle des instituteurs de France, qui abrite actuellement l’exposition Le Chant des forêts, un homme déambule. Doudoune déchiré, cheveux hirsutes, regard hagard, il semble habité de mille vies, de mille personnages. Attrapant le bras d’un inconnu, un confident d’un soir, un être invisible, produit de son imaginaire imbibé de drogue et d’alcool, il lâche la bride aux maux qui le hantent, libère ses démons et évoque sa vie de vagabond dans une ville sans âme.
Considéré comme l’œuvre fondatrice de Koltès, La Nuit avant les forêts, pièce écrite en 1977, est comme une longue litanie, un chant d’amour et de révolte, une évocation du monde vu à la marge. Avec ingéniosité et finesse, Clotilde Labbé donne véritable corps à ce récit sans fin. Ici, pas de scène, pas de théâtre, juste un homme errant, un de ces SDF ignorés, le plus souvent, du commun des mortels, qui vont, petit à petit, prendre conscience de sa présence. Face à nous, fier, humble, il se met à nu, parle de la société qui l’opprime, le broie, nous entraîne avec poésie dans les méandres de ses pensées qui s’entremêlent, se répètent comme pour leur donner plus de poids, de réalité, en vain. L’attraction vers le noir, une paix sombre intérieure, est trop forte. Le combat avec l’hostilité du monde est perdu d’avance.
Pour porter ce flux de paroles sans répit, il faut une nature, un artiste au charisme discret, un minable lumineux, capable de donner vie aux images qui jaillissent de son cerveau. Samuel Desfontaines est clairement de cette trempe. Il sait attraper l’attention, s’effacer, pour mieux nous happer à nouveau et faire vivre ce double de Koltès, un fier-à-bras pitoyable, un vaurien formidable, un être humain dans toute sa complicité, en somme.
Toujours renouvelée, jamais altérée, La nuit avant les forêts change au gré des états d’âme du spectateur. Elle révèle à chaque nouvelle adaptation, à chaque nouvelle écoute, quelques-uns de ses nombreux éclats. Alors, laissez-vous tenter et plonger dans ce conte toujours aussi actuel, toujours aussi saisissant.
Olivier FRÉGAVILLE-GRATIAN D’AMORE, L’Œil d’Olivier, 27 janvier 2023.
Crédit photos © Émilie Sfez