De J.P DUPUY, 15 juin 2012

Vieil homme de théâtre, si j’ai choisi de m’investir dans le théâtre, c’est que j’ai toujours pensé que le théâtre était un art de la rencontre et pour reprendre la belle formule de  Robert Filliou que « l ’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ».

Le film « Ensemble », que l’on peut sous titrer « les 9,3% prennent la parole », pièce de théâtre écrite et produite par un collectif de personnes en quête d’emploi, procède de cette évidence : que l’on peut faire un beau film d’une rare sensibilité qui, cependant, s’efface devant un moment de vie précieux et délicat.

Une douzaine de personnes privées de travail, entreprend  d’échanger et d’évoquer leur mal être par rapport à leur situation. Avec le concours d’une professionnelle, Clotilde Labbé maîtresse d’œuvre de Passerelles-Théâtre qui porte bien son nom, leur entreprise va déboucher sur une création théâtrale.  Aucun ne peut se prévaloir d’antécédents dans la discipline. Quant à la caméra, elle  va suivre discrètement mais sûrement  temps forts et temps faibles de l’aventure. Rien n’est éludé du sel de la vie, des problèmes et des joies ressentis par les uns et les autres. Tout cela est saisi ( saisissant effectivement) avec une grande finesse et un doigté qui donnent aux images un ton, une couleur, une pudeur qui configure ce qu’on appelle usuellement la délicatesse. À l’évidence la réalisatrice, Véronique Pons, éprouve tendresse et respect pour les personnes qu’elle filme. Au résultat, les protagonistes du film y gagnent une aura, un sens de la dignité qui inspire le respect.

Bien sûr, le film donne à comprendre tout ce que le chiffre de  9,3% de  chômeurs peut receler et occulter de détresse et de souffrance.

Bien sûr, on ne peut être insensible à l’incompréhension qui va jusqu’à la stigmatisation des victimes d’un système économique et social qui préfère l’argent et le profit à l’humain. Sans fioritures, le film donne à réfléchir. Son message social et politique  suscite un intérêt des plus vifs. À qui est épris de justice, il apporte de l’eau (fut-ce l’eau des larmes) à son moulin.

L’honnête homme se voit conforté dans sa détermination à travailler à l’avènement d’une société plus juste : c’est bien un film stimulant pour qui œuvre à la transformation sociale et à l’amélioration sensible des conditions d’existence de nos concitoyens. Juste écho à tous ceux qui ont contribué à permettre cette réalisation. Enfin, il offre, mieux qu’un réconfort aux personnes touchées par la privation de travail, il leur donne des raisons d’espérer et invite à lutter toujours et encore contre ce fléau. Mais quant on a dit ça, on est loin d’avoir tout dit  et on risque même d’être passé à côté de l’essentiel.

Si les aspects sociaux et politiques ne sont pas négligeables, ils pèsent peu à côté de l’intérêt que provoquent  les personnes engagées dans l’expérience. Devant la qualité et l’authenticité de ce qu’elles disent. Elles prennent la parole et cette parole est une parole d’honneur. Il faut voir ce film pour appréhender cette surprenante et magnifique leçon. Les participants de l’expérience sont tout simplement impressionnants de générosité et de vérité. En toute modestie, s’organise une parole salvatrice qui fait autant de bien à celui ou celle qui la profère qu’à celui ou celle qui peut l’entendre. Un film, ou une création artistique (pièce de théâtre) … Ce sont des procédures artificielles, conventionnelles et souvent elles nous éloignent de notre ordinaire. Elles nous déconnectent de notre réalité.

Performance, effets spéciaux, usage de ficelles en tout genre … tout concourt à provoquer l’oubli de soi. Éprouvé par les turpitudes de la vie… Notre besoin de consolation est insatiable.

Le spectacle comme  paradis artificiel a pris la relève du paradis perdu. Tenir un propos artistique qui déjoue le piège de l’artificiel (qui rime avec superficiel), ce n’est pas une mince affaire. Les gens modestes et que l’on dit  de « basses conditions » sont sensés n’intéresser personne ! Rappelez-vous le coup de la France d’en bas ! Cette France-là, la foultitude des « petite gens » n’aurait rien à dire. Silence radio. Pertes et profits. La société marchande nous roule dans la farine. Se constitue ainsi un peuple d’invisibles, d’à peine existants … Les laissés pour compte du profit à tout prix.

« Ensemble » comme « les 9,3% prennent la parole » qui l’ont précédé, nous offrent une sérieuse mise au point et remettent les pendules à l’heure !

Non seulement les gens modestes ont des choses à dire, mais nous serions  bien avisés de les entendre.

« Ensemble » c’est un miroir tendu par quoi chacun peut se reconnaître.

« Ensemble » c’est un coup de semonce dans un ciel d’azur, un coup d’éclat aussi inattendu que nécessaire, un cri du cœur renversant et bienfaisant qui renvoie l’ordre établi ( y compris dans ses préjugés culturels) au magasin des accessoires.

Qui renvoie aussi certaine catégorie de pensée aux poubelles de l’Histoire.

« Ensemble » parle de l’essentiel et c’est un film qui sonne juste !

 

Aucune fausse note. Chaque protagoniste y trouve sa juste place  et à cause de cette justesse l’émotion épouse la réflexion dans un alliage rare. Vous avez dit : valeurs ?Ne cherchez pas plus loin : si les valeurs existent ; elles sont là.  Je vote pour. De l’humain avant toute chose.En effet, on oublie l’artifice et les exigences d’une procédure artistique pour entrer, de plein pieds, dans la rencontre. On fait connaissance et on trouve que les gens qui passent par là, sont beaux. L’empathie est totale. Un lien se noue avec les personnes qui s’exposent sous nos yeux. Et au passage, on se réconcilie avec soi-même, tant à peu de chose près , cette personne privé du droit au travail, cela eut pu être nous. Chance ou malchance, le fil est tenu qui court  de l’un à l’autre. Le film abolit la ligne de démarcation et  nous embarque à vivre ensemble la douloureuse épreuve dont témoignent avec courage  les uns, au bénéfice des autres. Le cercle initial s’élargit : voir le film, c’est y prendre place avec bonheur. Répondre présent. On s’attache. Sans fracas, sans effets, sans cinéma !…On se surprend  à aimer, admirer … et même c’est le bouquet : à envier ! Comme si on voudrait rentrer dans le film et partager l’aventure. Comme si –quelle que soit la situation que l’on a à vivre , il était nécessaire, indispensable de s’accorder le temps … de vivre, d’être ensemble et de vérifier que l’on est bien soi-même en personne là !Alors on se dit à l’usage de ceux qui ont bien voulu essuyer les plâtres : chapeau ! fallait le faire ! Respect !Respect à celui-là comme à celle-ci qui nous offre le mouvement par le dépassement de soi.

Va bene ! ça marche ! Avanti popoulo ! ça avance … ça pourrait se chanter et d’ailleurs ça se chante !

Respect à celui/ celle  qui transforme son abattement en sourire éclatant. Qui fait de sa dépression, une force de vie. Ce que René Char appelle « une planche de salut ».

Sauve qui peut la vie !

Ça jubile dans les cœurs et ça champagne dans les têtes. La fête est une fête du vrai. Un vrai bonheur et comme on dit ça ne se commande pas : alors comment on-t-il fait ?  (pour que la commande n’en soit pas une !) La question vaut tant pour  l’auteur du film que la metteuse en scène, que tous les participants  de l’opération ? Comment ont-ils gérer cette étonnante fabrique de biens communautaires que furent et le film et la pièce de théâtre ? Le titre du film donne la réponse : « Ensemble » Il est évident que la monnaie d’échange fut l’amour  et les ressources inépuisable de l’amour vrai.

Voilà pourquoi « Ensemble » est un petit (format oblige) grand film d’amour. Décidément de cela on ne se lasse jamais. Il faut courir voir ce film. On dit –belle expression- embrasser du regard ! Alors, privilège nous fut accordé,  d’embrasser du regard « Ensemble » et d’en éprouver un réel contentement. Du plaisir, de la joie, quelques larmes et deux doigts de rire… Ce fut un beau et bon cocktail.

Un de ces moments d’enchantement  où l’on voit, dans sa vie, passer des anges …Et on se demande si on n’a pas rêvé.

 

Un petit coup de pouce ?